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L’Histoire d’une fausse couche – Lettre à mon garçon

Salut le p’tit,

Je t’ai écrit un p’tit quelque chose d’aussi court que le temps que tu as passé dans ma bedaine. Parlons fausse couche. T’avais sûrement l’air d’une crevette à l’époque, t’étais probablement pas plus gros qu’un pois chiche, tu n’avais pas encore de nom, mais je savais que tu étais un p’tit gars.

Je veux juste te dire que c’est ok avec moi que tu aies décidé de ne pas plonger dans la vie. Peut-être que tu avais d’autres plans super chill avec tes amis crevettes… mais bon, c’est correct.  

famille qui joue sur la plage

C’est sûr que t’as manqué plein d’occasions de t’empiffrer de chocolat. Premièrement parce que je t’aurais aimé tellement fort que j’aurais jamais été capable de te le refuser. Toi pis ta p’tite face! Et deuxièmement, parce que j’aurais voulu que tu goûtes au meilleur de la vie! Ce sera pour une autre fois!

Désolée je n’ai pas mis mes grands mots du dimanche parce que je voulais te parler de notre histoire de famille librement sans m'enfarger dans un lexique encombrant.

C’est le week-end de notre déménagement que le petit bâton-test nous a dit que tu te construisais une mini-maison dans mon ventre. On était pas mal content!

Une fin de semaine plus tard, on était dans ma famille pour l’anniversaire de mes nièces sans même se douter que dans mon bas ventre, il y avait une tout autre fête qui se préparait.

C’est à ce moment que j’ai commencé à perdre du sang. Je suis sortie dehors avec ton papa pour appeler Info santé afin de savoir si je devais me rendre à l’hôpital.  On voulait s’assurer que tu sois correct.

Ça été long avant d’avoir des réponses à nos questions parce que les débuts de pandémies, ça infecte aussi les lignes téléphoniques. L’infirmier qui nous a finalement assistés nous a dit de nous rendre à l’urgence.

On a donc informé ta grand-maman de ton existence et de notre départ pour l’hôpital. Je suis sûre qu’elle aurait préféré faire ta connaissance autrement, mais elle ne t’en veut pas, je le sais. C’est elle qui s’est chargée d’avertir le reste de la famille de ce qui se passait.  Ça, ça te casse un party!

couple triste en deuil

À l’hôpital, une chance que ton papa était là pour nous faire des câlins forts pis doux en même temps parce que j’étais pas mal triste. Je suis sûre que tu les as sentis. D’ailleurs, il nous a accompagnés pour tous les examens, les prises de sang et les échographies. Il ne parlait pas beaucoup, mais il était là.

Le médecin nous a appris que 1 grossesse sur 5 finissait par une fausse couche.

Dans 50% des cas, on ne peut pas en déterminer la cause exacte et l’autre 50% serait dû à des anomalies de l’utérus, des maladies endocriniennes, des désordres de coagulation, des anomalies génétiques chez l’homme ou chez la femme ou une réserve ovarienne basse. Le système reproducteur et la chaîne de réactions nécessaires pour mettre à terme une grossesse sont extrêmement complexes.

En gros : c’est de la faute à personne.

Dans notre cas, c’était un mystérieux mystère.

Durant les deux semaines qui ont suivi, il a fallu que je fasse une prise de sang aux 2 jours pour m’assurer que l’hormone de la grossesse disparaisse complètement de mon système. Des piqûres à répétition, des bleus sur les avant-bras et du sang, encore du sang… Ça me faisait mal à chaque fois et pas juste physiquement.

En attendant que tu te remontres le bout du crustacé le temps d’un autre cycle, j’écoute de la musique pleine de soleil et je laisse les petites vagues de tristesse passer.

attente enfant fausse couche plage

Avant de te laisser complètement partir, j’aurais quand même une couple de choses à te dire. Tu comprends…  ta petite vie était tellement courte que j’ai pas eu le temps de te donner tous les conseils de maman que j'aurais aimé... Parce que tu sais, être un petit gars, ça implique beaucoup responsabilités.

1) Sois gentil avec les filles

D’abord, dans vie il n’y a pas juste le chocolat qui est cool, il y a aussi les filles. Tu vas rencontrer plein de filles trop nice comme ta demie-sœur, tes grand-mamans, mes amies, moi, etc.

Il va y avoir des filles longues, des courtes, des ceuses qui rient fort. Des filles de toutes les couleurs de peau possibles et imaginables. D'autres qui sont rondelettes que c’est plus long faire le tour que de passer par-dessus comme la grand-mère de Mélissa. Il y en a qui sont toujours de bonne humeur, même le matin, comme ta grand-maman. Je sais, c’est bizarre...

Tu vas rencontrer des filles avec des voyages pleins les yeux, des filles pleines d’idées colorées. Il faudra que tu les respectes et les acceptes toutes. TOUTES! Je te dis ça parce que les garçons ont un genre de pouvoir invisible dans la société et les filles l’ont eu un peu tough ces derniers siècles, je parle ici d’abus, d'oppression, d’inégalités, etc.

groupe de femme

2) Reconnais qu’une grande force t’habite (pas celle des muscles qu’on voit sur les réseaux sociaux. Une autre sorte de force, celle à l’intérieur de toi!). Tu devras l’utiliser non pas pour contrôler et dominer, mais bien pour protéger et construire, la mettre au service de la nature et de ta communauté.

3) Sois en paix avec qui tu es, assume ta masculinité et ne laisse rien ni personne l’ébranler, parce qu’un petit homme à la virilité fragile c’est destructeur.

Oui, les garçons, ça pleure « comme une fille », ça aime les licornes et les affaires avec des brillants dessus. Tu es bien plus grand et complexe que ces stéréotypes qui disent le contraire.

4) Les menstruations c’est pas tabou ni dégueu! Au contraire, c’est ce qui fera en sorte que tu te matérialiseras dans ce monde (si tu le veux bien). Donc ça va être super important d’honorer cet aspect de la vie des femmes qui t’entourent.

5) Utilise ton cœur pour guider tes paroles et tes actions. Soit sensible et doux avec toi-même et ceux qui t’entourent.

6) Entoure-toi de modèles positifs et inspirants qui t’élèveront et te pousseront à aller chercher le meilleur chez toi. Drake n’est PAS un modèle inspirant.

7) Tente de comprendre tes émotions et d’en assumer la responsabilité, ça va beaucoup t’aider. Elles sont comme un détecteur te montrant tes blessures, ces parties de toi qui ont besoin de lumière et d’amour.

Il faudra aussi que tu apprennes à exprimer comment tu te sens.  Si tu te laisses envahir par tes émotions et que tu les gardes pour toi, ça va te faire souffrir, tout  comme ceux qui t’entourent.

8) Montre-toi vulnérable, ça te permettra de développer des relations intimes et profondes avec les autres.

9) Ne laisses pas ton égo marcher sur ta vie et encombrer tes relations. Ris de tes gaffes. Mon amie Érica te dirait que la vie, c’est juste un grand jeu, pas la peine de se prendre trop au sérieux!

garçon tempête hiver

Avant de finir, je veux que tu saches que non, ce n’est pas cool de mettre des souliers en hiver, même si tous tes amis le font. Tu vas te trouver au coin de la rue à attendre l’autobus, les pieds gelés, comme un poisson. Pourquoi? Pour chercher l’approbation des autres. Je te le dis tout de suite, tu mets tes bottes. Et pas de cellulaire avant 14 ans!

Ça fait pas mal le tour pour le moment.

En attendant, à chaque fois que mon cycle recommence, je suis chavirée de recevoir le flow de mes menstruations non pas parce que je serai ballonnée et boubou pour les 6 prochains jours, mais parce que ça veut dire que tu es encore au large et que tu ne t’es pas accroché. 

En tout cas, quand tu seras prêt, moi et ton papa, on sera sur le bord du rivage à t’attendre en mangeant du chocolat. Bye là, crevette!

Ta Minmin

***

Alors à vous qui avez lu cet échange avec ma crevette voyageuse, voici quelques statistiques sur les interruptions de grossesses spontanées.

Fausses couches en chiffres :

  •         80 % des fausses couches se produisent dans le 1er trimestre (entre la 1re et la 13e semaine);
  •         50 % à 75 % des fausses couches si tôt dans la grossesse que les femmes ne savaient pas qu’elles étaient enceintes;
  •         15 % à 20 % des grossesses se terminent par une fausse couche;
  •         C’est 50 % des grossesses se terminent par une fausse couche pour les femmes de 40 ans et plus;
  •         25 % des grossesses se terminent par une fausse couche pour les femmes entre 35 et 39 ans.
fausse couche tabou

La fausse couche, un tabou?

Un tabou c’est un : « sujet qu'il est interdit d'aborder. »

Est-ce qu’on a affaire à un tabou au Québec? Je ne croirais pas. Est-ce que la fausse couche est un sujet peu abordé. Oui.

Après cette expérience, j’ai compris pourquoi. Non pas parce que c’est tabou ou parce que c’est socialement inacceptable, mais parce que c’est difficile d’en parler. Simplement.

Pas facile de faire deuil d’un enfant, d’un projet de famille et de l’espoir que tout ça comporte. Plusieurs femmes ressentent de la culpabilité, le sentiment d’avoir échoué.

Avant d’écrire cet article, ma fausse couche, je n’ai pas eu envie de la partager, mais de la vivre dans l’intimité avec mon chum et c’est probablement le cas de plusieurs autres familles.

Perdre un fœtus laisse une blessure, peu importe à quel stade de la grossesse. Toutes les fois où j’en parlais, j’avais l’impression de défaire les points de suture un à un et d’aller jouer dans la plaie malgré que mon entourage ait été encourageant, bienveillant et positif.

Selon mon expérience, ce n’est ni la société ni les tabous qui m’ont fait garder le silence.

L’important c’est de laisser les femmes et les hommes passer à travers cette épreuve à leur façon, sans jugement, sans banaliser l’expérience, d’être présent et de les accompagner pour trouver l’aide nécessaire.

famille deuil fausse couche

Et les papas?

J’aimerais ajouter un petit mot d’encouragement aux papas laissés de côté qui vivent parfois un deuil silencieux. En voulant être un pilier solide pour leur partenaire, ils n’ont parfois pas l’espace pour vivre leurs émotions.

Prenez soin d’eux. Demandez-leur comment ils se sentent, soyez une oreille attentive.

Les fausses couches une matière à réflexion...

Comme je le mentionnais plus haut, mon médecin nous a dit qu’une grossesse sur 5 finissait par une fausse couche.  Il a également ajouté que ce chiffre aurait doublé depuis le début de sa pratique.  Selon lui, ça serait dû entre autres à l’environnement dans lequel nous vivons.

Ouin… ça laisse à réfléchir…

Voici des ressources pour vous accompagner dans le deuil périnatal :

Régime québécois d’assurance parentale du Québec

Pour connaître si vous avez droit à un congé de travail

1 888 610-7727

SOS Grossesse

Service d’écoute téléphonique en lien avec la grossesse et l’interruption de grossesse.

1 877 662-9666

Info-Santé et Info-Social : 811

Pour savoir quoi faire si vous avez des saignements durant la grossesse.

Revenir les bras vides (CHU Sainte-Justine)

Série de vidéos sur le deuil périnatal :

Sources :

CHU Sainte Justine

INSPQ

Pregnancy Info

Medicalnewstoday