- Est-ce que ça fait mal?
- Est-ce que nous perdons beaucoup de sang?
Là sont des questions fréquemment posées par mes élèves en début des cours d’introduction à la sexualité que je donne dès le mois de mars. J’enseigne dans une école primaire privée sur la Rive-Sud de Montréal. Plus précisément, je suis prof de 5 e année.
Vous aurez deviné que les questionnements précédemment listés font référence à l’apparition des premières règles chez les jeunes filles en puberté. D’ailleurs, je ne les énumérerai pas tous parce que je manquerais de place, mais je trouvais pertinent de vous partager quelques-unes de mes anecdotes à ce sujet afin de mieux vous outiller, vous, que vous soyez enseignant·e·s ou parents, pour jaser de menstruations avec les enfants de votre entourage.
L’importance d’être à l’aise
Comme introduction à ces classes, je prends toujours le temps d’expliquer à mes étudiant·e·s que la sexologie est un sujet qui m’interpelle particulièrement et que j’apprécie l’enseigner. À vrai dire, c’est une de mes matières préférées. Ça fait beaucoup réagir quand j’affirme ceci. Comme je leur précise ça, je m’attarde aussi à leur expliquer que j’aurais donc espéré avoir un ou une prof peu timide, similaire à mon tempérament aujourd’hui, pour décortiquer chacune de mes inquiétudes relatives à la sexualité de mon corps encore frêle à l’époque.
Je mentirais si je vous cachais les points d’interrogations présents dans leurs yeux et leur dédain face à cette sphère du curriculum. Toutefois, aujourd’hui, je suis très fière de clamer que ce cours est devenu un des favoris d’une panoplie de mes élèves!
Je pense que c’est mon intérêt envers ce sujet qui les a rendu·e·s avares de connaissances reliées à ce thème. C’est comme dans n’importe quoi en fait! Ça, et mon ouverture. Rares étaient les questions auxquelles je ne pouvais pas répondre et/ou que je refusais de donner une réponse parce que ce n’était pas rated 11 ans.
Mine de rien, une fois en confiance et à l’aise, leurs questions fusaient de tous bords tous côtés. Par manque de temps, je leur ai indiqué où me ils pourraient revendiquer mon aide de façon anonyme; j’ai créé ce que nous appelons un Padlet.
Qu’est-ce qu’un Padlet
Ça a le même rôle qu’une boîte à questions, donc recevoir des réponses anonymement, en plus de protéger l’environnement, car aucun papier n’a été utilisé pour poser sa question. Sous le couvert de l’anonymat, il était encore moins intimidant d’interroger la prof!
Notamment, je recommande cette ressource à toustes les enseignant·e·s qui souhaitent intégrer cette pratique lors des classes d’éducation à la sexualité. Sans oublier que je revenais sur les questions posées, et sur les réponses que je donnais, à chaque fois que j’abordais le sujet.
Ainsi, ma classe sentait que leurs questionnements étaient valides et ça laissait place au dialogue. Pour être franche, ce sont les interrogations de mes étudiant·e·s qui guident la planification de mon cours en lien avec la sexologie. Iels sont tellement curieux·euse·s!
Trop régulièrement, nous pensons que les enfants ne sont pas assez vieux pour aborder ce qui entoure les menstruations, les relations sexuelles, les agressions sexuelles, etc. En tant qu’enseignante, je trouve primordial de leur en glisser un mot avant qu’ils traversent de l’autre côté, soit avant qu’ils fréquentent l’école secondaire.
J’aurais apprécié, moi, qu’on m’informe qu’on ne perd pas plus de 3 cuillères à table de sang, au total, durant nos règles. Ça m’aurait rassurée il me semble…
J’aurais aimé ça, moi, qu’on prenne le temps de me présenter les diverses façons possibles de récolter son sang menstruel. Pas juste les tampons et les serviettes menstruelles!
Dans le fond, j’aurais adoré qu’on dédramatise tous les tabous entourant le sexe et cette fameuse semaine du mois. Point. Je me serais sentie moins gênée quand j’ai tâché mes pantalons pendant mon cours de géo en secondaire trois. Je me sentirais moins coupable quand mes hormones sont dans le tapis. Je serais plus dans l’accueil de mes états d’âme et dans l’acceptation de ces derniers. Je ne tenterais pas de me justifier sans cesse et d’éviter d’en parler de peur de traumatiser et de dégoûter les gens m’entourant.
Ceci dit, pourquoi ne pas offrir un environnement bienveillant aux prochaines générations à la place de leur lancer des tomates, car leur humeur est massacrante (so what)?
L’arrivée des menstruations au 3 e cycle
La célébration
- Est-ce que je peux te dire un secret, me demanda mon élève de 5 e année.
- Bien sûr! Dis-moi!
Les yeux brillants, une fillette de ma classe venait de me confier qu’elle avait ses premières règles. Elle pétillait de bonheur! Cette même fillette annonçait la même nouvelle à mes collègues, c’est-à-dire l’autre enseignante de 5 e année et l’enseignante d’anglais, la veille. Elle aurait pu l’annoncer à la planète entière dans un porte-voix si elle avait pu je pense.
Si vous, vous trouvez ça drôle et ou étrange comme comportement, moi, je la comprends. Le bonheur d’être enfin considérée « femme » et de se compter parmi la gang des filles qui sont menstruées était une délivrance en ce qui me concerne. J’enviais toutes mes amies de 6 e année dont le sang coulait depuis un moment déjà. Évidemment, quand les pré-adolescents ne s’harmonisent pas avec le moule qui leur est présenté, c’est angoissant. Encore plus quand tu es le ou la seul(e) à ne pas être conforme!
Ce que l’histoire ne dit pas, c’est que non seulement, la période de puberté est stressante, mais tout ce qui l’entoure l’est également. Ceci dit, imaginez le scénario suivant : vous êtes en 5 e année, vous vous comptez parmi un groupe d’amis tissé serré, toutes les filles de celui-ci ont eu leurs premières règles et vous, vous êtes la seule rejetonne dont les seins peinent à bourgeonner et dont les ovaires ne se font même pas sentir! C’est la catastrophe!
C’est ce que les jeunes vivent continuellement dès leur arrivée au 3 e cycle. Les étudiantes ne l’affirmeront pas ainsi, mais c’est ce qui leur traverse l’esprit quand une autre de leur BFF va leur demander si, par hasard, elles n’ont pas une serviette menstruelle à leur prêter.
La honte
Sinon, il y a les élèves beaucoup plus discret·ète·s quand il est question de l’arrivée de leurs premiers saignements.
Pour illustrer, si les parents ne m’en avaient pas glissé un mot lors de notre dernière rencontre de bulletin, je ne l’aurais jamais su. Même les jeunes filles qui détenaient une confiance absolue en moi, leur prof de 5 e année, ne me partageaient pas ce secret. Même le papa et la maman de cette enfant ignoraient les raisons derrière cette fausse confidence. C’est comme si les jeunes filles avaient honte de ce qui leur arrivait…
C’est vrai qu’il n’y a rien de très attrayant à l’aperçu d’une tache de sang dans nos bobettes, je vous l’accorde, mais c’est l’arrivée d’un pouvoir magique : l’habilité de créer un être humain! Au début, ma classe ne me croyait pas.
- Aussi tôt?
- Qui voudrait être maman à 11 ans?
- Comment on devient mère à 11 ans?
Vous devinerez que ce sont, encore une fois, toutes des interrogations auxquelles j’ai dû trouver une réponse. Toutefois, cette fois-ci, je me suis contentée de rappeler à ma classe qu’en cas de besoin, je tenais un petit inventaire de produits menstruels si un imprévu arrivait. Oui, je tiens un petit répertoire de serviettes menstruelles dans mon sac juste au cas… Pourquoi me demanderez-vous? Parce que c’est ce que j’aurais souhaité que mon enseignante fasse quand je fréquentais encore l’école primaire, que je vous répondrais.
- Est-ce que quelqu’un a des serviettes menstruelles avec eux?
C’est une consœur de travail qui m'a demandé ceci pour sa fille de 6 e année.
- Elle a eu ses premières règles lors de notre voyage d’été et, typiquement aux premières menstruations, son cycle n’est pas régulier, et elle n’a pas ses culottes menstruelles en sa possession maintenant!
Vous aurez prédit que je me suis proposée pour lui fournir plus qu’un seul pad. Vous avez vu juste! Je dois aussi avouer que mon cœur dansait aux paroles de ma collègue : mon élève de l’an dernier avait recours à des serviettes menstruelles réutilisables! J’aime penser que mes cours d’introduction à la sexualité, ainsi que mes conseils en matière de cycle menstruel, ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd!
La déconstruction des menstruations au 3 e cycle
Pourquoi en parler à tout le monde
- Pourquoi tu parles de menstruations à toute la classe quand ce sont uniquement les filles qui vont être dans leur semaine?
Cette question ne m’est pas seulement posée par mes élèves s’identifiant comme un garçon : il y a aussi leurs parents, les autres profs et même les filles se retrouvant dans mon local qui s’interrogent également à ce sujet.
Je leur fournis toustes la même réponse qui est la suivante : je prends la décision d’aborder cette thématique avec tout le monde étant donné que chacun·e d’entre vous va connaître et fréquenter une femme qui, un jour ou l’autre, aura le sang qui se pointera le bout de l’endomètre! Que ce soit notre blonde, notre conjointe, notre femme ou encore notre amie, notre sœur, notre cousine, notre tante ou notre mère. Peu importe notre identité de genre ou notre orientation sexuelle, nous connaissons toustes une personne qui saignera en notre présence. Fréquemment, c’est à ce moment précis que le silence est palpable dans ma salle de cours.
- Ça, c’est quand maman se fâche souvent dans la même semaine, hein, madame?
J’ai hésité entre rire et froncer les sourcils quand cette question a frôlé les lèvres d’un de mes grands cocos. Vous comprendrez que j’ai choisi le ricanement.
- En effet, mais toi, tu fais plus référence au syndrome prémenstruel ou, plus communément appelé le SPM.
Silence dans la salle…
Beaucoup trop souvent, le SPM s’associe à la folie ou à la variation jugée anormale des humeurs de la femme. Cette impression est imprégnée dans notre méthode de percevoir le corps féminin en vue de se préparer à relâcher l’endomètre non fécondé ou, en langage familier, à être dans sa semaine.
Pour qu’un enfant d’à peine 11 ans me demande si le tempérament changeant de sa maman était créé par cette semaine spécifique du mois, c’est parce que nous avons encore énormément de travail à faire à ce sujet selon mon humble avis. D’ailleurs, c’est pour cette raison que je trouve pertinent de parler des saignements vaginaux à toustes et chacun·e des enfants dans mon groupe : pour normaliser ce sujet si important, mais encore tellement intimidant pour trop de gens. Oui, il existe bel et bien des variations de l’humeur durant la phase prémenstruelle dûes au changement d’hormones. Néanmoins, nous ne sommes pas folles pour autant et, le plus important, c’est que nos émotions sont valides tout au long de notre cycle.
L’anecdote de la fin
- Vous, madame, avez-vous déjà eu vos règles pendant que vous nous enseigniez?Je jure que je n’invente pas ce moment de mon quotidien! Un de mes étudiant·e·s (vous comprendrez que quelques détails m’échappent) s’est réellement questionné à mon égard.
J’ai trouvé ça mignon qu’un enfant de cet âge se préoccupe sincèrement de ma santé.
- Bien oui! Plusieurs fois même!
Quelques ricanements ont fusé d’une part et d’autre de la classe. Ils venaient de saisir que madame Pageau aussi pouvait ne pas être de bonne humeur, être fatiguée et se sentir migraineuse parce qu’elle pouvait saigner du vagin et ce, une fois par mois. Ce n’est pas rien pour un kid de 10-11 ans!
Habituellement, certains professeurs préfèrent cacher certains aspects de leur vie personnelle, ce que je respecte, mais moi, j’opte de plus en plus pour la transparence envers ma classe. Je trouve que ça me permet de tisser un réel lien de confiance et de démontrer que je suis une humaine, moi aussi, avant tout, et que je possède quelques failles également.
Tel que mentionné précédemment, j’essaye d’être l’enseignante que j’aurais espéré avoir en 5e année : ouverte d’esprit et peu timide d’aborder certaines thématiques plus embarrassantes que d’autres.
Bonne année scolaire à toustes les professeur·e·s! En espérant que les tabous soient de moins en moins présents dans nos anecdotes ainsi que dans notre quotidien.