Se promener seins nus dans la rue alors qu’on est né·e dans un corps féminin, c’est la grosse affaire. Pourtant, lorsqu’on voit une personne ayant un corps masculin se balader librement en chest, personne ne lève un petit doigt.
Comment ça se fait que les seins féminins soient autant polarisés, alors qu’ils n’ont pourtant fondamentalement rien de sexu ?
** Cet article dépeint les seins féminins de la perspective d’une femme cis, en conscience que les seins peuvent être perçus différemment par d’autres personnes, et notamment engendrer une dysphorie de genre chez les hommes trans et les personnes non-binaires.
Allô, le double standard
Qu’ils soient petits ou gros, ronds ou ovales, inégaux ou en miroir, fermes ou pendants, les seins féminins sont considérés comme sexuels, voire obscènes. Dans notre culture nord-américaine, on exige des personnes ayant un vagin de cacher leur poitrine, dans des lieux où les personnes ayant un pénis ont pourtant le droit de montrer la leur. Allô, le double standard. 👋🏼
C’est ironique, vous ne trouvez pas, de sexualiser des glandes dont la fonction biologique première est de nourrir les bébés ?
On vit constamment entre deux pôles : si on se couvre trop, on est des Sainte-Nitouches. Si au contraire, on ne se couvre pas assez, on est des « salopes ». Mais il faut quand même s’habiller sexy si on veut se mériter le regard des hommes (cis hétérosexuels). Mais pas trop, t’sais! Une perpétuelle partie de cache-cache, ou plutôt cache-montre… Tel est le paradigme dans lequel on vit, comme si nos corps appartenaient à tout le monde sauf à nous.
C’est d’ailleurs un point que soulève Lili Boisvert dans son livre « Le principe du cumshot ». Elle dénonce le fait que les femmes doivent s’habiller pour exciter le désir des hommes, quitte à sacrifier leur confort (on s’entend qu’une brassière pushup qui nous remonte les seins dans la gorge et nous serre la cage thoracique, c’est loin d’être la chose la plus confortable).
Selon elle, la sexualité hétérosexuelle s’appuie sur l’idée que la femme serait un accessoire. On est considéré·e·s comme des objets désirés et non comme des sujets désirant.
Pourquoi les chests nus ne choquent pas ? C’est exactement pour cette raison. Les hommes cis ne s’habillent pas pour exciter, on a donc été désensibilisé·e·s à l’image d’un torse dénudé. Au contraire, le marketing a attribué les jupes courtes et les robes moulantes aux corps féminins pour éveiller l’excitation de la gente masculine (tout en renforçant la binarité des genres).
Et surtout, parlons-en: les fameuses brassières. Si, contrairement aux chests masculins, les seins féminins sont perçus comme étant sexuels, c’est en grande partie parce qu’on a été conditionné·e·s à les camoufler sous des couches de tissus, de dentelles et de pads. Les cacher juste assez a pour effet de renforcer la tension sexuelle.
Si on a la folle idée d’abandonner le port de la brassière – dévoilant ainsi la vraie forme de nos seins et laissant nos mamelons pointer le chemin – on est alors beaucoup trop provocantes. Il faut laisser place au désir quand même!
Une lutte féministe capitale (mais aussi un simple désir de ne pas suer de la craque)
La censure des seins féminins manifeste un sexisme ancré depuis des lunes.
En fait, le corps des femmes a toujours été censuré d’une manière ou d’une autre, mais le contrôle s’est renforcé dans les dernières décennies.
Alors que les femmes ont gagné du terrain dans la sphère publique, notamment en obtenant le droit de voter et d’exercer une profession distincte de celle de leur mari, le patriarcat s’est replié et a pris ses aises dans les confins tabous de la sphère privée.
Et par sphère privée, on entend surtout : la sexualité.
« Notre corps nous appartient », slogan féministe des années 70. On voit qu’il reste du chemin à faire quand on lit la page pour la marche qui s’est organisée à Québec et à Montréal en juin, suite au cas d’Éloÿse Paquet Poisson : « Parce que ça dérange quand on prend le contrôle de notre corps. […] LIBÉREZ LES SEINS! ».
Courte histoire longue (pas si longue en fait, seulement lourde) : Éloÿse s’est fait interpeller par la police alors qu’elle profitait du soleil seins nus dans un parc. Les policiers lui aurait demandé de se rhabiller, ce à quoi la jeune femme aurait refusé de se conformer, en pleine connaissance de ses droits.
Un des policiers aurait conclu « en tout cas, on n’a pas le droit de te donner d’amende, c’est vrai. Techniquement, c’est légal. » C’est en effet légal, d’où la non-pertinence de l’intervention policière. On s’entend, des seins vivant leur best life au soleil ne mettent personne en danger.
Anyways, ce n’est pas nouveau, de se faire dire quoi faire de nos corps par des hommes cis. Il y a une différence entre quelque chose de techniquement illégal, et quelque chose qu’on nous a appris à ne pas oser faire.
Se dénuder les seins, ça peut relever d’un acte féministe. Ça peut aussi être simplement motivé par un désir de ne pas avoir une rivière sous les seins quand il fait 35ºC.
Peu importe l’essence derrière le geste, on doit toujours dealer avec les conséquences, et ça, j’en ai jusque-là (m’imaginer pointer mes seins).
Se promener topless, c’est légal
Voilà, c’est dit. Être seins nus en public, c’est légal. Au Québec comme au Canada, toute personne a le droit de se promener sans se vêtir le haut du corps, tant que ça n’a rien de sexuel et qu’il est justifiable de le faire.
En d’autres mots, le Code criminel ne l’interdit pas expressément.
Pourtant, même lorsqu’il est plus que justifiable de le faire – par exemple pour nourrir un enfant – la vue d’un sein nu crée encore tout un émoi.
Pensons au cas du Centre Eaton en mars dernier, où une jeune maman s’était fait interdire d’allaiter. Il y a encore une forte tendance à croire que l’allaitement doit se dérouler dans l’intimité la plus pudique, alors que juridiquement parlant, le Tribunal des droits de la personne a conclu en 2005 que d’empêcher une femme d’allaiter dans un lieu public constitue une discrimination basée sur le sexe.
La lutte du topless ne date pas d’hier. Il y a 8 ans, la journaliste et auteure Lili Boisvert s’est promenée seins nus sur la rue Sainte-Catherine, et petite confidence: il n’y a pas eu d’apocalypse. Plus on va le faire, plus ce sera normalisé. Mais ce n’est pas si simple de passer outre l’hypersexualisation de nos seins et de réclamer notre droit de ne pas suer de la craque! 🍑
Apprendre à se réapproprier nos seins… et nos droits
Tout d’abord, on va mettre quelque chose au clair : Non, Michel, si on se balade seins nus, ce n’est pas pour t’exciter. Ce qu’on fait avec nos corps n’est pas toujours (même presque jamais) orienté vers le plaisir masculin.
Comment se réapproprier cette partie de notre corps qu’on a longtemps appris à cacher, et qui est encore couverte de tabous? Ce cheminement est propre à chacun·e, selon son niveau de confort et d’aisance et c’est absolument parfait comme ça.
Voici quelques pistes, si ça peut t’inspirer à essayer ne serait-ce qu’une journée :
- Délaisser la brassière
Si on apprend à cacher nos seins en tant que tels, on apprend même à cacher leur forme. Un premier pas vers la normalisation du topless peut être de se détacher du soutien-gorge, que ce soit à temps partiel ou à temps plein.
- Se mettre seins nus en nature
La forêt sauvage ou le lac sont tes endroits de prédilection! En plus, pour l’avoir testé, être topless en nature permet une plus grande connexion à notre environnement. Et quel meilleur feeling que de sentir l’eau sur nos seins libres?
- Organiser des séances de topless en gang
Un petit après-midi au parc à jaser ou à lire seins nus entre ami·e·s, ça peut être beaucoup moins intimidant que de l’essayer seul·e! Power to community!
- Connaître ses droits
Maintenant, si quelqu’un t’interpelle pour te demander de te cacher, qu’iel soit en position d’autorité ou non, tu connais tes droits. Et déjà ça, c’est vraiment empowering, non?
Que tu sentes l’élan d’essayer le topless à la plage cet été, que tu optes simplement pour délaisser la brassière ou que tu continues à la porter rigoureusement, l’important est que tu te sentes bien dans ton choix. En fait, l’important c’est surtout D’AVOIR le choix.
Si le titre de l’article de Sylvie Marchand dans La Presse en réaction à la polémique du topless était “« Libérez les seins » ? Non merci !”, on dit pour notre part : « Oui merci! Si le cœur vous en dit! ». Après tout, les seins sont le prolongement du cœur.
Sur ce, je m’en vais lire et relire «Le principe du cumshot » au parc Laurier les seins au soleil, question de me rapprocher un peu de l’égalité de mon tan (et de nos droits!).
Gabrielle